Ou comment s’y retrouver parmi le dédale des cosmogonies actuelles ?
Avec le Covid-19, nous vivons une période éminemment paradoxale de notre existence, comme je l’ai montré dans un précédent article ("Le paradoxe du Virus"). Ce paradoxe se dévoile sous la forme de dilemmes et de contradictions assez profonds :
- Obéir ou désobéir à la politique de « sécurisation » ?
- Vivre dans la confiance ou dans la méfiance « raisonnable » ?
- Se réjouir pour la nature ou s’affliger pour l’économie ?
- Profiter d’un temps de repos ou s’épuiser au télétravail ?
- Constater l’effondrement ou anticiper la métamorphose ?
- Déplorer les « erreurs et maladresses » gouvernementales ou observer le « plan spirituel » à l’œuvre ?
Le dernier dilemme est beaucoup plus profond et métaphysique (« spirituel », si vous préférez) que les précédents, à juste titre : il est à mon avis ce qui divise le plus le monde actuel en plusieurs clans, plusieurs factions qui se côtoient difficilement, s’ils ne s’affrontent pas idéologiquement.
Les deux camps :
Les optimistes, encore taxés « d’idéalistes », et les pessimistes, auto-proclamés « réalistes ».
(Pour plus de précisions sur les concepts philosophiques de réalisme et d’idéalisme, lire mon article : « Faut-il être réaliste ? » )
Personnellement, j’ai majoritairement choisi mon camp, depuis un moment déjà. Mais je ne peux pas ne pas être sensible aux arguments des deux camps, et je suis régulièrement impressionné par les conséquences pratiques qu’engendrent ces deux conceptions du monde, ces deux « cosmogonies ».
Étymologiquement, une cosmogonie est un discours sur la création du monde. Du grec « cosmos » (le monde, organisé par des lois rationnelles, au contraire de « l’apeiron » originel, encore appelé « chaos ») et « gonos » (genèse, procréation), la cosmogonie est une manière d’expliquer le monde actuel par sa création originelle : il est un discours créationniste. Mais pour moi, qui pense pragmatiquement que tout discours est créateur, une cosmogonie est avant tout un discours sur le monde qui créé le monde, qui l’influence, qui tend à le modeler. Paradoxalement, un discours sur la création devient créateur, tout comme un sondage d’opinion créé l’opinion, évidemment. Une cosmogonie, pour moi, c’est donc un discours qui créé un monde, dans lequel on vit ensuite comme dans une bulle, parfois tout à fait imperméable aux autres bulles, aux autres mondes. Y-a-t-il un monde en dehors de nos bulles-mondes ? Je ne saurais le dire…
Toujours est-il que ce que je vois autour de moi, c’est le choc des mondes, l’affrontement des cosmogonies, à l’occasion de cette crise que nous traversons, de cet instant « critique » où nous devons nous regarder en face et juger (« krinein » en grec) notre histoire. Je vois des discours qui tendent à s’imposer au plus grand nombre, je vois des discours minoritaires mais vindicatifs et tout aussi despotiques que les despotes qu’ils critiquent ; et je vois des discours englobants, holistiques, qui sont une autre manière de s’imposer en digérant tout sur leur passage. Et je vois, plus que jamais, que nous sommes avant tout dans un choc idéologique, et que c’est à l’intérieur de chacun d’entre nous que ce choc a lieu. C’est à nous de décider ce que nous allons accepter ou refuser de tous ces discours, et le choix n’est pas simple. Voilà ce que je veux montrer dans cet article.
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Pour préciser un peu le choc entre « réalisme » et « idéalisme », je vais prendre l’opposition sous un autre de ses angles. Ce qui m’interpelle, en tout premier lieu, aujourd’hui, c’est le positionnement que je dois prendre, entre les théories qui expliquent comment on a pu en arriver là (discours causalistes) et les théories qui expliquent pourquoi on en est arrivé là (discours finalistes). Les premières recherchent la cause, l’erreur, là où le mécanisme a commencé à se détraquer, pour arriver à l’énormité de la situation actuelle. Et il faut dire qu’elle est énorme, cette situation… Et les seconds cherchent le sens, le but caché derrière tout ce désordre apparent : la finalité de cette situation qui ne pouvait pas se passer de manière plus parfaite, selon le but visé. Et il faut dire qu’il y a de l’ironie dans la situation que nous vivons…
Et si tout cela avait pu être évité ?
Donnons la parole quelques instants aux causalistes. Je ne donnerai aucune source ici, je vous fais confiance pour les trouver, si vous ne l’avez pas déjà fait : ils sont partout sur la toile. Par exemple, la question est de savoir comment plus de 60 % de l’humanité s’est arrêtée de produire et s’est laissée confiner chez elle, par peur d’un virus qui, aux dires de certains, n’a pas l’air si dangereux (tout du moins s’il n’est pas soigné à coup d’intubations barbares). Comment, si on écarte la thèse du complot du nouvel ordre mondial (qui est à elle seule une cosmogonie à part entière), les gouvernements du monde entier ont pu se laisser impressionner au point de bloquer toute une industrie, toute une économie, avec les conséquences récessives que nous allons connaître prochainement ? Cela est tout bonnement impressionnant. Si l’on regarde l’exemple de la France, ou de l’Angleterre, ou de la Suède, la réponse est peut-être : par l’effet de l’image.
L’image de l’autre, tout d’abord, qui est créatrice comme le discours. Quand tous les autres pays se mettent au pli, quand les chiffre de l’OMS tombent tous les soirs - incluant dans les morts quotidiens les victimes du virus, de pathologies parallèles, d’intubations sauvages et autres - alors il faut se rendre à l’évidence : « nous sommes en guerre » ! Plus question d’aller au théâtre ! Cela amène mathématiquement à l’image que l’on veut donner de soi, ensuite, à l’intérieur et à l’extérieur de son pays. Dans le royaume de l’image où « ce qui apparaît est réel, et ce qui est réel apparaît » (Guy Debord, La société du spectacle), les gouvernements n’ont pas une grande marge d’action : ils doivent se plier démagogiquement à ce que la société civile et les autres états sont en droit d’attendre d’eux. Sous peine de rapport de pouvoir très réels, entre états ou dans l’état. Nous critiquons nos gouvernements, trop lents, trop rapides, trop brutaux ou trop souples… Mais nous critiquons les gouvernements que nous avons plébiscités (bien avant de voter pour eux, en réalité), et que nous avons engendrés par notre mentalité portée sur le règne de l’image : ceux qui arrivent au pouvoir sont ceux qui ont le mieux réussi à apparaître ! En nourrissant jour après jour le règne de l’image, nous créons ainsi la politique qu’ensuite nous critiquons !
Mais l’image n’est pas la seule responsable de l’ampleur de la situation actuelle. Indépendamment des intérêts propres qui motivent nos gouvernements à imposer toutes sortes de nouvelles règles privatrices de liberté - « au nom de la sécurité du peuple » - nous assistons aujourd’hui à ce que Carl Gustav Jung appelait à juste titre une « hystérie collective » : forme la plus aboutie de cette émotion souterraine – la peur – qui croupit bien souvent au fond des cœurs, sans avoir d’autres possibilités de sortir que dans de grands phénomènes de masse. Pourquoi sommes-nous autant à porter le masque jusque dans nos voitures, quand nous conduisons les vitres fermées, l’air recyclé à fond, tous seuls ??? La peur nous gouverne de l’intérieur, nos gouvernements répondent donc à l’image que nous voulons leur voir prendre (la « sécurité !!! »), et nous assistons à l’extérieur au fruit de notre création intérieure. Notre propre virus est notre peur, et il est bien plus contagieux encore que ce coronavirus, aussi rapide soit-il à se frayer un chemin entre nos êtres. Mais d’où vient donc cette peur qui nous ronge ? Cela ferait un article à part entière…
(Otto Bogart)
Pouvoir hypnotique de l’image, comportement collectivement hystérique, démonstration d’une peur souterraine insidieuse et virale… Deux exemples parmi d’autres d’explications possible d’une situation qui, dans le discours causaliste, aurait pu ne pas être. Nous aurions pu éviter cette crise et celle à venir, nous aurions pu conserver à flot le navire de notre fébrile système économique. Mais la question reste : cela est-il souhaitable ?
Et si tout cela était une chance ?
Cette première analyse n’était qu’un exemple d’un discours causaliste, qui tente de comprendre comment nous avons pu en arriver à ce scénario catastrophe d’une économie mondiale quasi entièrement bloquée, sans en passer par une théorie du complot. Mais, toujours en dehors d’une théorie complotiste que j’avoue ne pas beaucoup affectionner (malgré les analyses passionnantes qu’elle peut pourtant développer), on peut assister dans certains réseaux sociaux à une analyse finaliste qui cherche à nous expliquer pourquoi nous sommes à cet instant précis de notre histoire, et qu’est-ce que nous avons à en apprendre, pour notre évolution future. La situation actuelle obéit-elle à une direction plus globale, que nous ne sommes pas toujours capable de saisir ? La crise que nous vivons est-elle une chance unique, à saisir ?
Pour commencer, je dois avouer ironiquement que parmi tous les scénarios-catastrophe que j’ai pu entendre sur l’année 2020, du réchauffement global aux tremblements de terre et autres bouleversements qui affectent notre planète dans son entièreté, celui-ci est de loin le plus ambitieux, si on le replace dans l’économie employée par notre Terre-Mère pour manifester son désaccord, sans s’auto-détruire sous nos yeux. Dans une optique finaliste, on pourrait avouer que tout se passe comme si le virus était comparable aux célèbres « frappes chirurgicales » américaines en Iraq, qui en principe ne touchent que ce qui doit être nettoyé, sans abîmer ce qui est autour – sauf qu’ici le virus y parvient ! Comme si la catastrophe ne touchait que l’humanité et son système économique virtuel, en le paralysant quasi-totalement, mais sans désordre écologique, sans aucun dégât matériel apparent, avec un nombre de morts très relatif, en comparaison aux guerres et autre atrocités que nous nous infligeons nous-mêmes. Le plus ironique, c’est que nous ne pouvons même pas nous « reconstruire », comme après une bonne guerre : il n’y a rien de détruit matériellement ! Ce virus aura réussi à plonger l’humanité dans une sorte d’hibernation temporaire, dont on ne sait pas encore comment elle va se sortir.
Si à cela on ajoute l’hypothèse de certains chercheurs dont un prix Nobel (concernant l’origine potentiellement anthropique du virus, par la défaillance du système de sécurité d’un laboratoire chinois qui aurait cherché à produire un vaccin contre le VIH), on aboutit à un scénario plus ironique encore… Quoi ? L’humain aurait réussi, tout seul comme un grand, par l’effet d’une simple goutte d’eau initiale, à produire son propre tsunami, paralysant tout son édifice économique et menaçant de le raser comme un vulgaire château de cartes ? Il serait le principal acteur du bouleversement dont il aurait bien besoin, selon certains ? lI faut avouer que l’ironie est grande ! Toujours est-il que pour les partisans de la « ré-volution » (c’est-à-dire, étymologiquement, le retour à l’évolution, plutôt que la « ré-forme » qui ne fait que changer les formes pour ne rien changer dans le fond), nous vivons peut-être une occasion idéale d’opter pour le changement, maintenant, et non demain. « On arrête tout et on réfléchit », disait la bande dessinée de Gébé, « L’an 01 », il y a un demi siècle. Et si on le faisait ? Aujourd’hui ?
Pour étayer ce discours finaliste, résolument optimiste, concernant la crise actuelle (« l’instant de juger »), nous avons des données météorologiques, constatant une baisse impressionnante de la pollution dans les pays « civilisés » ; nous avons une convergence de témoignages de personnes qui livrent combien cette occasion qui les a forcées à arrêter de travailler a été salutaire, inespérée même. Tout ce que nous imaginions impossible est en train de se montrer finalement « pas si impossible », pas seulement en théorie, mais en fait, en pratique ! Et puis nous avons ce leitmotiv, infatigable sur les réseaux sociaux que je fréquente : « saisissons cette occasion de revenir en soi ! » Pacifier notre intériorité, conscientiser nos comportements habituels : c’est l’objectif de toute initiation traditionnelle, qui se fait par la privation d’un comportement bien connu (manger, dans le jeûne ; parler, dans la retraite en silence) ou d’un sens communément utilisé (voir, dans la pratique de la cécité). Le cloisonnement et le confinement, en nous privant de notre liberté de mouvement, nous offrent, comme j’ai essayé de le montrer dans une conférence, une formidable occasion d’éprouver notre liberté intérieure. Comment réagissons-nous ? Observons-nous !!!
Cinquante nuances de green…
L’analyse finaliste de la crise a certes ses avantages, en ce qu’elle contribue à créer une expérience plus sereine et sensée de cette situation paradoxale que nous vivons. Il y a même une lueur d’espoir pour tous ceux qui abhorrent ce monde empli d’injustices, et qui aspirent à un monde plus humain. Quelque chose comme un fenêtre qui s’ouvre, pleine de promesses de changement…
Mais je dois avouer que je ne parviens pas à enlever ce goût amère qui reste dans ma bouche, quand je sors des réseaux sociaux orientés vers la spiritualité, et que je constate, sur d’autres boucles sociales, que le taux de violences intra-familiales a prodigieusement augmenté, touchant femmes et enfants sans remords ; que les pays « en voie de développement » (selon les critères décidés par les pays « en plein développement ») souffrent horriblement de la crise du tourisme, de la famine et autres dégâts collatéraux de la crise économique ; ou encore que dans nos propres pays, l’écart entre les foyers pauvres, touchés de plein fouet par le chômage, et les plus riches, protégés de mille manières, se creuse encore un peu plus... Quand j’assiste aux stratégies politiques pour revenir sur des droits durement acquis ou pour faire passer des lois despotiques, sous couvert de l’état d’urgence ; quand je vois des grandes entreprises de secteurs hautement touchés en profiter pour ne pas rembourser des billets d’avions (par exemple), peut-être bientôt se mettre en faillite économique puis se reconstruire un peu plus loin ; quand je vois des grandes firmes internationales programmer la diffusion en masse de vaccinations comprenant potentiellement des nano-particules de fichage des individus…
Alors il me vient cette question, comme une épine que je ne parviens pas à enlever : saurons-nous profiter de cette crise pour changer ce qui ne nous convient plus, et aller vers ce que nous voulons ? Mais que voulons-nous, aujourd’hui ? Quel discours nous marque le plus, entre causalisme et finalisme, réalisme et idéalisme, défaitisme et espoir fou ? Quel discours voulons-nous voir marquer notre vie, orienter nos croyances, influencer nos comportements ? Quel monde voulons-nous contribuer à construire, à l’intérieur de nous, par le discours que nous acceptons ? Tout part de là…
Et je dois avouer que j’entends, partout autour de moi, des ami-e-s se demander comment choisir, parmi ce flot d’informations paradoxales voire contradictoires… A quoi se fier ? Personnellement, j’apprends progressivement à faire confiance à mes trois sources internes de certitude : le Cœur, le Ventre et la Tête. La Tête tout d’abord, parce que c’est encore ce que j’ai le plus développé jusqu’à présent, et que c’est avec son aide que je cherche, de manière résolument pragmatique, quel est le discours qui m’est le plus utile. De quoi ai-je besoin, dans tout ce que j’entends, pour continuer sur mon chemin, pour donner du Sens à ma Vie, pour me donner le courage d’avancer ? Voilà le fond de la philosophie pragmatique : juger l’importance d’une théorie en fonction de son utilité pour moi, à un instant de ma vie. Mais encore faut-il connaître la direction, savoir quel sens je veux donner à ma vie ! Pour cela, je fais appel au Cœur. Le Cœur, car il est ce qui donne la direction, pour moi. Il est le centre, l’essentiel, ce que je Veux com-prendre (prendre ensemble) de ce qui se passe actuellement, en fonction des valeurs que je veux développer dans ma Vie. Mon Dieu quelle subjectivité !!! Et alors ? Si je suis conscient de cela, et que je conserve la présence d’esprit (on appelle cela « réflexivité ») de savoir que ce n’est que mon chemin, et non une image fidèle du Monde, je sais que je ne peux pas me fourvoyer. Ne pas confondre l'icône (image consciente d'elle-même) et l’idole (image qui se prend pour son objet), tel est le fond et le garde-fou de toute religion ! Et puis il y a le Ventre, les tripes, l’estomac. Le ventre qui sait, lui, ce qui est bon pour moi, instinctivement. Et pour cela, il faut utiliser son « pif ». Sentir les choses, les gens, les discours. Me fier à mon pif. Voir comment je me sens en les écoutant, quel est mon niveau de vibration. Faire confiance à mon instinct, comme quand, dans la pratique de l’instinctothérapie, je sens les aliments avant de les goûter. Pratiquons l’instinctothérapie verbale, relationnelle, philosophique !
Dans l’ontologie platonicienne, dans sa tripartition de l’âme, la Tête (la raison) était appelée à gouverner le Cœur (le courage) et le Ventre (le désir). Je choisis de garder la tripartition, mais pas dans le même ordre. Pour moi, le Ventre est l’instrument de jugement, la Tête est son acolyte, le garde-fou ; et le Cœur est le pilote, qui donne la direction. Mais j’en viens à me demander, parfois...
… Si nous sommes-nous prêts, aujourd’hui, à placer le Cœur à la « tête » de notre attelage ailé... Avons-nous le cœur assez pur, assez dégagé de ces scories et autres corona-virus internes, pour espérer un monde plus humain ? En dehors de toute polémique idéologique sur les bienfaits et méfaits de la crise actuelle, sommes-nous capables de faire le tri dans notre cœur, et de cerner ce que nous voulons, profondément, et ce que nous ne voulons plus voir ?
Dans son remarquable ouvrage « Mère », Laurent Huguelit nous livre, quelques mois avant l’apparition du COVID-19, un témoignage bouleversant, venant tout droit de la forêt amazonienne et de son enseignement. Or, voici les 1ères et dernières paroles de la forêt :
« L’intention est bonne, mais le cœur n’est pas pur ».
Cela continue à me déchirer de l’intérieur, quand je fais face à la situation que nous vivons, à la Lumière de ces paroles de sagesse.
Il est possible, me dis-je alors, que nous ne soyons pas encore prêts, qu’il soit un peu trop tôt.
Mais tout de suite après, une autre voix se fait écho en moi et murmure :
« Et alors ? Qu’importe ! Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Sachons ne pas aller trop vite, et construisons avec nos forces actuelles. Construisons Notre monde, à l’intérieur tout d’abord, puis à l’extérieur, peut-être. Nous en sommes capables… »
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