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  • patricksorrel

Les constellations familiales et systémiques : quand la relation dessine l’individu.

Dernière mise à jour : 29 janv. 2020








Article présent sur le très riche site :


A voir : interview croisée de Sophie Aucourt, accordeuse familiale et systémique, et de moi-même, autour des constellations :




L’œuf ou la poule ?


Parmi les croyances inquestionnées de l’occidental contemporain, l’individualisme trône certainement en pole position. Avant d’être cette philosophie décomplexée qui affirme ouvertement que l’individu prime sur son entourage, l’individualisme philosophique consiste simplement à affirmer qu’il existe un individu AVANT qu’il y ait une relation. Il s’agit ici d’un postulat ontologique, métaphysique, un peu comme une pétition de principe, qui affirmerait que l’œuf est fondamentalement antérieur à la poule. Pas de relation sans individu, pas de molécule sans atomes. L’individu, celui qui est indivisible, est donc l’atome (en grec : ce que l’on ne peut pas couper) de la molécule relationnelle.


Contre cette pétition de principe, les années 70 ont vu naître une myriade de conceptions systémiques : c’est-à-dire considérant que l’individu n’existe pas en dehors du système complexe de relations dans lesquelles il s’inscrit. Nous sommes « enfant de », puis « frère ou sœur de », à moins que nous soyons « enfant unique », nous définissant alors par le manque de cette relation de fratrie qui constitue bien souvent une famille. Notre individualité est, bien avant notre naissance – peut-être avant même notre conception – teintée de cette longue lignée généalogique qu’est notre héritage génétique et culturel. L’individu n’existe que par le fait d’une multitude de relations : c’est la poule AVANT l’œuf.



S’il apparaît évident aujourd’hui que ni l’œuf ni la poule ne s’expliquent l’un l’autre (véritable casse-tête chinois pour l’intellect), toujours est-il que nous devons bien prendre le problème relationnel par un bout ou par l’autre. Alors que certains courants psychologiques considèrent que tout travail thérapeutique doit partir de l’individu, les constellations familiales et systémiques, comme leur nom l’indique, partent du postulat inverse : il faut partir de la relation pour mieux comprendre la place que peut prendre un individu dans son système familial, professionnel, sociétal. Partons donc de la famille, pour exemple, et voyons où cela peut bien nous mener…


La famille est une constellation…


Dans les années 1970, Stanislav Grof montre expérimentalement qu’un individu peut être porteur, bien qu’inconsciemment, de problématiques transgénérationnelles, qui dépassent de loin son histoire personnelle. Lors d’expériences de respiration holotropique, des individus découvrent que leurs problématiques actuelles sont un héritage de leur lignée familiale, ethnique, ou encore culturelle. Les ramifications semblent s’étendre bien plus loin que ce que l’imagination peut concevoir : Grof appellera « constellations » ces systèmes composés de planètes et de satellites gravitant autour d’un noyau central, le cœur de la problématique de l’individu. Grof est résolument pragmatique : peu importe que ses patients aient réellement vécu des vies antérieures ou des rencontres avec leurs aïeux. La seule chose qui importe est la libération émotionnelle qui accompagne ces séances, et qui modifie de manière profonde et durable la vie des personnes. Grof va multiplier les expériences durant 45 ans.


A peu près à la même époque, un ancien prêtre, Anton Hellinger, dit « Bert Hellinger » (diminutif de « Suitbert », son nom de religion), aboutit aux mêmes découvertes psychogénéalogiques en mettant en place une forme de psychodrame familial. Il s’agit de demander à une personne de choisir, dans le groupe de thérapie dont elle fait partie, des représentants pour « jouer » son personnage, celui de sa mère, son père, etc. En réalité il ne s’agit pas vraiment de jouer, au sens théâtral, mais de simplement se laisser traverser par la sensation d’être le personnage, sans chercher à comprendre ou à intellectualiser. Et de manière surprenante, les scènes qui se jouent dans ces groupes produisent les mêmes libérations émotionnelles, accompagnées des mêmes changements comportementaux que ceux vécus en état modifié de conscience. Des tensions familiales éclatent subitement, des lignées entières de problématiques identiques apparaissent en pleine lumière. Bert Hellinger affirme qu’il n’est pas utile que la famille « réelle » soit présente pour résoudre ces problématiques – ils pourraient même tous être morts – car il suffit que la relation se modifie dans cet espace-temps bien à part, pour que tout le système familial se recompose comme par « magie ».



De la magie, c’est bien la première critique que l’on fera à l’inventeur des constellations familiales. Rien ne nous assure que les informations sensorielles recueillies lors des séances correspondent à la réalité, ni que le constelleur ne fasse pas tout simplement de la suggestion, un peu comme en hypnothérapie. Les phrases qu’il prononce, pour ré-informer le corps ou la relation, ressemblent d’ailleurs à s’y méprendre aux phrases scandées en hypnose, dans le ton et dans le rythme. Il y aurait donc un risque d’ascendant du constelleur sur le groupe, voire un risque de dérive manipulatoire.


Jodorowsky et le théatre de la guérison.


Toujours à la même époque, un artiste autodidacte et polyvalent franco-chilien, Alejandro Jodorowsky, surnommé « Jodo », commence à mettre en pratique ses expériences théâtrales, spirituelles et artistiques, pour créer un « théâtre de la guérison ». Dans ces constellations qui dépassent bien souvent le cadre de la famille, le constelleur laisse un grande place au « hasard » et à l’intuition du groupe. Les cartes de Tarot, que Jodo aime tant qu’il a créé son propre jeu (accompagné de tout un livre explicatif) sont utilisées pour aider au choix des personnes, et chaque représentant a la liberté d’exprimer tout ce qu’il ressent sans être censuré, pourvu qu’il ne passe pas à l’acte.




Reprise et développée par Eric Laudière (psychothérapeute français) dans les années 2000, cette manière de consteller les problématiques relationnelles place le constelleur en position de chef d’orchestre plutôt que de directeur : la constellation se joue devant lui, et il la scande pour mettre en lumière les lignes de force et les tensions qui pourraient passer inaperçues sinon. Le Verbe n’est plus le seul outil pour ré-informer les corps (cela peut être le tambour, ou d’autres instruments à portée rituelle) et le groupe joue un rôle central, que l’on soit représentant ou partie du public. Il faut que l’histoire qui se joue soit vue, entendue, criée haut et fort, devant ses témoins de l’humanité que sont les personnes présentes. Le risque de suggestion s’efface devant la spontanéité d’un groupe qui se forme et se déforme, s’aime et se hait, assuré de la présence bienveillante et sécurisante du constelleur. Ce risque est toujours là certes, pour celui qui décide de prendre pour argent comptant tout ce qu’il entend ou ressent dans une constellation ; mais Eric Laudière précise toujours que les informations reçues dans les constellations ne sont pas à prendre comme des vérités : elles sont plutôt des catalyseurs qui provoquent une réaction en chaîne dans le groupe, faisant bouger tout le système dans le sens d’une résolution de la tension initiale. Libre à chacun d’y voir une coïncidence totalement fortuite ou une synchronicité remarquable : à chacun ses croyances !



Et si l’atome était lui aussi une constellation ?


La force d’Eric Laudière, après Jodorowsky, aura été d’utiliser la méthode des constellations familiales pour faire apparaître ces tensions familiales et ces lignes de force au sein même de l’individu, ce prétendu atome. Déjà Richard Schwarz, un psychothérapeute américain, avait découvert dans les années 2000 l’existence de multiples parts en chaque individu, sans qu’il soit pour autant atteint de schizophrénie. Alors qu’une partie de moi peut développer un courage proche de la témérité, presque inconscient, une autre part peut sans cesse réclamer des assurances avant d’agir, et parfois bloquer l’action par excès de prudence. Je ne suis ni l’une ni l’autre de ses parts : je suis le patchwork constitué d’elles. Schwarz avait appelé ce système interne IFS : « Internal Familial System ». Une véritable petite tribu intérieure, avec des désaccords, des blocages, des complexes de loyauté et des gardiens un peu trop oppressants…


Consteller son propre système familial interne, en faisant sortir les différentes parts de soi pour les mettre dans l’espace d’une pièce et les faire dialoguer, c’est toute la force de cette méthode qu’Eric Laudière a appelé RER : « Reconnaître, Embrasser, Relâcher ». Plus besoin de faire appel à des représentants extérieurs (même s’il est tout à fait possible de faire une constellation des différentes parts de soi en utilisant la force d’un groupe de représentants), il suffit de reconnaître l’énergie et la place que prend chacun de nos parts, de rendre hommage à la fonction qu’elle a servi ; enfin de voir si cette fonction est encore utile aujourd’hui, ou bien si on peut accorder à cette part de soi quelques vacances bien méritées…




Conclusion : quand la poule mange l’œuf ?


En guise de conclusion, il convient de remarquer deux points importants, que nous offrent les différentes méthodes de constellations familiales et systémiques.

- En premier lieu, un individu n’est jamais un atome, indépendant et insécable. Jamais indépendant, car il dépend, dans son existence même, de toute une série de relations qui étaient là bien avant sa naissance : il s’inscrit dans ces relations plutôt qu’il ne les crée. Imaginer l’individu comme un îlot isolé au beau milieu de la mer, c’est le fantasme fou de l’arbre qui ne voudrait pas voir ses racines. Certainement pas insécable ensuite, puisqu’il peut lui-même être représenté comme un constellation à part entière, constituée de nombreuses planètes tournant autour d’un noyau que l’on pourrait appeler le « Self », pour reprendre l’expression de Schwarz. Un individu est donc une relation, noyée dans des relations, de manière tout à fait fractale (des poupées russes, si l’on préfère…).



- En second lieu, une tension relationnelle n’est jamais résolue ailleurs que dans un individu. Au lieu de vouloir changer tel ou tel membre de sa famille, telle ou telle relation, telle ou telle part de soi, mieux vaut commencer par investir réellement son individualité, ou encore son « Self », cette partie de soi qui joue au chef d’orchestre dans sa propre constellation. « Changer le monde commence par se changer soi-même », a dit Keny Arkana (une chanteuse marseillaise), à la suite de son maître Gandhi. Si je change en moi la constellation que représente ma famille, alors je change ma famille. Mais si je veux changer ma famille, alors je m’arc-boute sur ce qui ne dépend pas de moi, et je ne vois pas ce que je pourrais changer en moi. Tout part de moi, et tout reviendra à moi, au bout du chemin. Paradoxe ultime et jouissif à la fois.


Car lorsque je comprend ces deux parts d’une même réalité, alors je reprends toute la responsabilité de mes actes, et je réinvestis mon pouvoir personnel dans son entièreté.


A tout moment, je peux tout changer.


En commençant par moi.


Toujours.



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