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  • patricksorrel

« Les noces du Ciel et de la Terre »


5ème rencontre avec l'énergie du crapaud du désert mexicain.

Pour commencer, je dois préciser que la préparation qui a précédé ma rencontre avec Bufo Alvarius, cette année encore, a été déterminante dans l'expérience que j'ai pu faire. Une semaine de diète alimentaire consistant à enlever toute substance d'origine animale (viande, lait, œuf, etc.), alcool, café, sucre, sel, excitants de toutes formes et relations sexuelles. Cela peut paraître excessif et irréaliste mais cela a vraiment son importance dans le processus d'allègement et de purification du corps. Puis trois sessions de purge avec la grenouille amazonienne Kambo (Phillomedusa bicolor) réparties sur trois jours successifs. Cette année, expérimentant le processus depuis déjà plusieurs années, j'avais décidé de faire successivement 8 points, 10 points et 12 points de Kambo, pour que la purge soit profonde et entière. Le 1er jour, la porteuse de médecine s'est trompé et ne m'a appliqué que 7 points. J'ai donc décidé de demander 10 points le 2ème jour et 13 points le 3ème jour. Je voulais pouvoir cumuler 30 points, sans vraiment savoir pourquoi, mais je le sentais ainsi. Le matin du 3ème jour de purge, j'avais quand même des inquiétudes sur la souffrance que j'allais devoir traverser, après l'intensité des 10 points de la veille, et puis parce que je n'avais encore jamais fait autant de points. J'ai commencé à chanter dès le début de l'application des points et ce jusqu'à ce que ma voix soit trop faible pour sortir encore de moi. Le processus a été intense et long mais très supportable, étonnamment. J'ai énormément transpiré aussi. A la fin du processus, je sentais une tranquillité et une sorte d'ancrage intérieur que je n'avais plus senti depuis très longtemps. Cela m'a permis d'aborder ma cinquième rencontre avec le crapaud de manière plus sereine.



J'avais tout de même une inquiétude de fond, quelque chose de tellement vivant que pour être sincère je n'aurais pas été si déçu si l'expérience avec le crapaud ne pouvait avoir lieu. Normalement, mon tour devait se situer à la fin du 3ème jour de purge, mais les passages précédents le mien prirent plus de temps que prévu initialement et la porteuse de médecine me demanda finalement si j'étais d'accord pour attendre le matin du 4ème jour pour passer à mon tour. De son côté elle était ok pour m'accompagner cette dernière matinée, alors qu'initialement elle devait partir de bonne heure pour retrouver son domicile. Cela me soulageait que ce soit le lendemain car je dois avouer que je n'en menais pas large, et aussi parce que j'avais une nuit supplémentaire pour me préparer sereinement à la rencontre.

Mais pourquoi cette peur, après déjà quatre rencontres avec l'énergie de ce crapaud ? La première fois a fait l'objet d'un autre article : "Une expérience avec un crapaud..." Celle-ci a résolument été un tournant dans mon rapport aux médecines traditionnelles enthéogènes, et aussi dans mon rapport à l'existence, je crois. Mais le processus avait été tellement intense pour moi, corporellement, que j'hésitais à y retourner. Et puis j'avais subi une sorte de « décalage » dans ma manière de considérer la vie, et j'avais dû traverser plusieurs autres expériences, dont plusieurs avec une liane amazonienne qui a changé ma vie, avant de pouvoir me réancrer dans la matière d'une manière qui me convenait. L'année suivante, j'avais tout de même recommencé le processus (3 jours de purge Kambo puis la rencontre avec le Bufo) et cela avait été moins intense, plus « supportable » pour mon corps, sans être pour autant négligeable dans sa puissance. Il faut dire aussi que nous étions alors en extérieur, en pleine nature, et que j'avais pu bouger comme je le souhaitais, sans les contraintes physiques des parois de l'étroite cabane dans laquelle j'étais la première fois. Car oui, mon corps bouge toujours beaucoup lors de mes rencontres avec l'énergie du crapaud. Je ne le fais pas exprès, à vrai dire je ne suis plus vraiment en maîtrise de quoi que ce soit. Disons que je suis le mouvement (aux deux sens du terme). Quand je ne m'évanouis pas.

La troisième année, nous étions de nouveau en intérieur, dans une grande salle, et j'avais alors fait le processus deux fois de suite : une première tout seul, comme les 2 fois précédentes, puis une seconde fois, dans la foulée, avec ma compagne qui avait fumé dans la même pipe que moi. Il s'agissait donc d'une expérience partagée, après une expérience solo. Une manière de célébrer notre mariage spirituel, qui avait lieu une semaine plus tard. Cette fois encore, l'intensité de l'expérience était moindre que la toute première fois, et ma conscience du processus était plus grande, car j'étais parti « moins loin », c'est-à-dire que je m'étais moins détaché de mon corps. Cela m'avait à la fois procuré un sentiment de soulagement car j'avais beaucoup moins peur de ces rencontres avec Bufo mais aussi parce que je pouvais saisir de manière plus rapide et plus subtile ce qui se passait durant l'expérience. En même temps cela me laissait un léger sentiment de frustration, comme si j'étais en train de m'habituer au processus et que la saveur initiale disparaissait tout progressivement.

Suite à une rencontre inopinée avec un autre porteur de la médecine du crapaud, quelques mois plus tard, j'avais donc décidé de tenter une quatrième expérience, avec cet homme avec lequel je n'avais jamais travaillé. Son dosage était résolument plus fort que celui de ma porteuse habituelle de médecine, et mon expérience fut très explosive. J'étais littéralement déchaîné corporellement, et le petit groupe de personnes qui m'entourait et me sécurisait a du s'exercer à m’empêcher de heurter les parois de la pièce, qui faisait pourtant 40m2. Je n'ai pas grand souvenir de cette expérience, si ce n'est l'habituelle puissance cyclonique de la vie, le souffle tourbillonnaire qui m'emportait loin, très loin de mon équilibre corporel et psychologique habituel. J'étais ballotté comme un fétu de paille dans l’œil du cyclone, pour reprendre l'expression de John Lilly. Et cette dernière expérience, peut-être plus intense encore que la première que j'avais faite quelques années auparavant, m'avait laissé un goût de peur dans la bouche, sans que je sache vraiment identifier pourquoi. Était-ce seulement la violence du processus qui se déchaînait en moi ? L'instant initial qui ressemblait à s'y méprendre à une mort de mon système tout entier ? Les vomis qui avaient cette fois-ci parsemé mon expérience ? Ou l'impression que j'avais laissé autour de moi aux personnes qui n'avaient pu voir, de mon expérience, que le spectacle d'un corps qui semblait possédé ? Ce que je savais alors, c'est que j'allais attendre un moment avant de retrouver l'énergie de ce crapaud si imprévisible.

Et le moment était arrivé, une petite année plus tard, puisqu'après de nombreuses autres expériences avec des plantes enthéogènes, j'avais à nouveau organisé une rencontre avec ma porteuse de médecine, que j'avais fait la diète d'une semaine et les trois jours de purge. J'étais au pied du mur, comme on dit. C'est dans cet état que je m’assaillais sur la paillasse sur laquelle j'allais traverser l'expérience. En extérieur cette fois-ci, ce qui ne pouvait que me rassurer. Avec 2 amis hommes pour me cadrer et me sécuriser corporellement, la porteuse de médecine, son amie de longue date, « Mamita » ou « Coeur de Lune » et un « Abuelo » (« grand-père » en espagnol, un aîné d'une communauté amérindienne) de la tradition de la Voix rouge d'Amérique du Nord, qui avait derrière lui une longue expérience d'accompagnement des médecines traditionnelles, et qui était venu assister sa « fille » spirituelle, comme il disait, dans ce processus. Je ne le connaissais pas personnellement et ses longs partages d'expériences et d'enseignements m'ennuyaient royalement, moi qui ai toujours du mal à écouter une personne qui parle seule pendant trop longtemps. Ce matin-là, l'Abuelo me fit une sorte d'enseignement en forme de sermon durant une heure entière, alors que j'étais assis à attendre la médecine. Un gros exercice de lâcher prise à lui tout seul, pour accueillir dans mon cœur son enseignement, alors que j'étais tout entier dans l'instant qui allait arriver quand il finirait enfin de parler. Mais je savais, au fond de moi, que ce qu'il disait était d'une grande utilité pour moi, et je le laissais me toucher par ses paroles, observant tout de mêmes mes propres sautes d'humeurs et mes passages de grande impatience.

C'est dans ce climat intérieur un peu fébrile que le moment de fumer la pipe s'est annoncé. Mon cœur battait la chamade, je n'en menais pas large mais je me concentrais sur le moment présent, sans réflexion, sans anticipation, juste ma respiration. J'ai pris 5 ou 6 grandes inspirations de cette manière, puis j'ai commencé à aspirer l'air brûlant de la pipe, chargée de la combustion des cristaux issus du contenu des pustules de ce si étrange crapaud du désert mexicain. Je n'ai pas réussi à aspirer assez longtemps, j'ai du m'y reprendre à 2 fois pour aller jusqu'au bout du bout de mon inspiration. Et j'ai gardé cet air en moi, laissant mon corps retomber doucement sur le sol, comme une plume qui s'envole. Il n'y a pas eu d'effroi face au tourbillon qui m'emportait, comme il y avait eu la toute première fois. Juste une sensation que tout mon être se repliait sur lui-même jusqu'à n'être plus qu'un point infinitésimal. Puis plus rien.

J'ai repris conscience quand mon corps a entendu la chanson que j'aime tant, doucement chantée par la porteuse de médecine. J'étais allongé, les yeux encore fermés, j'étais totalement là, dans la chanson, j'étais entièrement écoute, presque comme si rien ne s'était passé aupravant. Très calme. Immobile, sur le dos, apparemment. Il n'y avait absolument rien d'autre au monde qui n’existait, si ce n'est cette voix, ce chant. Le temps non plus n'existait pas. Seulement ce chant. Une berceuse, comme je l'avais demandé avant l'expérience. Mon intention, celle que j'avais donné juste avant de fumer la pipe, était de contacter à nouveau cette sensation d'être bercé, d'être câliné, d'être totalement en sécurité et aimé par une mère dotée d'une amour inconditionnel. Être accueilli. Et c'était cela qui se produisait dans l'instant. Et c'était bon, assurément.

Puis la chanson s'est arrêtée, trop vite puisque le temps n'existait pas et que j'aurais pu écouter cette chanson des centaines d'heures durant. J'ai vomi un peu, me suis retourné, gémi quelques fois puis suis retourné avec peine, à genoux, jusqu'à ma paillasse. J'avais fait du chemin, visiblement, j' étais en plein milieu d'un champ de ronces voisin, le corps tout griffé, et une épine dans l’œil gauche. Mais ce n'était pas important. J'étais bien, vraiment. A la fois calme et étonné. Puis l'Abuelo s'est mis à chanter, lui aussi. Un chant très ancien, avec sa voix si caractéristiques des peuples premiers d'Amérique du Nord. Je me suis vu me redresser et me mettre sur mes genoux, devant lui, dans un état de grande dévotion. J'étais en amour avec le chant, avec la personne, avec le « Père » que je n'avais jamais cherché nul part parce que je désespérais de le trouver. Et il était venu jusqu'à moi et il chantait, là. Incroyable. Inattendu. Présent. Puis le chant s'est arrêté, le cercle de cette expérience s'est refermé doucement, je me sentais bien là, présent, même si je voyais que j'aurais voulu rester des heures allongé par terre, avec toutes ces personnes autour de moi, pour profiter de l'état de paix dans lequel j'étais. Mais il était déjà tard dans la matinée, et le groupe devait partir. Mon expérience avait, nouvel étonnement, duré plus de deux heures dont une bonne demi heure de transe totale, pendant laquelle je ne me souvenais absolument de rien. Beaucoup plus longue que les quatre autres expériences précédentes. J'étais très curieux de savoir ce que mon corps avait fait cette fois-ci, et je demandais à un premier ami comment il avait vécu cela. Il me parlait alors du combat que j'avais mené corporellement, d'exorcisme, du danger dans lequel je m'étais mis. Et de contorsions. Beaucoup de contorsions, assez improbables apparemment. Il ne savait pas comment j'avais fait cela, comment mon corps avait supporté ces torsions. Mais visiblement ça avait tenu. Et je n'avais absolument aucune douleur au corps, si ce n'était l'épine dans l’œil gauche. Et puis j'avais crié aussi, selon lui. Je n'étais pas surpris, je le fais souvent, au départ de l'expérience. Non, me dit-il, j'avais crié tout le temps. Durant une demi-heure, sauf quand je m’arrêtais quelques instants, comme épuisé, pour repartir ensuite de plus belle. Étrange. Je n'avais rien vécu de tout cela.

Inquiet, je passais une partie des heures suivantes à me demander comment mon expérience s'était passé, durant tout le moment de mon absence de conscience. Mon autre ami me fit un rapport quasi identique : j'avais sauté dans tous les sens comme un diable, à tel point qu'il était très difficile de me contenir. Comme si je voulais me faire mal. J'avais beaucoup crié, des cris de souffrances ou d'angoisse. Je m’arrêtais puis je recommençais. Pendant très longtemps, beaucoup plus qu'à mon habitude. Et plus j'écoutais mes amis, plus je cherchais à comprendre ce qui s'était passé d'un point de vue extérieur, moins je comprenais. Je n'avais pas vécu cela, puisque je n'avais rien vécu, à ce moment là, du point de vue de ma conscience...

Le soir de l'expérience, quand tout le monde était parti depuis longtemps, je me suis couché dans mon lit et, avec l'aide du Rumé Poto, médecine traditionnelle au tabac, je me suis laissé allé à ce qui traversait mon corps. J'ai passé une nuit entière entre deux mondes, entre deux états, entre veille et sommeil, sans pouvoir dormir, entre éveil et rêve, sans pouvoir vraiment rêver. Mon corps était agité, je sentais que je continuais le processus commencé le matin, voire que je me replongeais dedans, corporellement. Mais il n'y avait toujours aucun souvenir conscient de l'expérience. Juste une énergie incroyable qui me traversait et me faisait me retourner dans tous les sens, dans mon lit. J'étais sous 220V, sans être figé dans une posture pour autant, mais libre d'exprimer corporellement une énergie qui semblait presque trop intense pour ma personne. Au petit matin, épuisé, je m'endormais.

La journée qui suivit, je trouvais le moyen de contacter l'Abuelo qui m'avait accompagné durant mon expérience la veille. Il m'expliqua longuement, par téléphone, ce qu'il avait pu sentir de ce que je traversais. Il me dit que je m'étais longuement battu, non pas contre un ennemi extérieur, une entité ou autre, mais contre moi même, ou plutôt contre la vie elle-même, ou Dieu, qui voulait me traverser, et que je refusais. Il me dit que selon lui j'avais du, peut-être dans une autre vie, en vouloir à Dieu, ou la Source, de quelque chose qui m'était arrivé, et que j'étais très en colère contre Lui/Elle. Que j'avais ramené ça dans cette vie, et que dans ce contact si intime et si proche de la Source qu'est l'expérience du Bufo, j'avais lutté de toutes mes forces pour ne pas accepter ce qui me traversait, ce courant de Vie à l'état pur. Il me dit aussi qu'il avait chanté pour moi, ce que d'ailleurs j'avais intuitionné la nuit précédente puisque j'avais vaguement entendu un chant de vieil homme, venant de très loin. Qu'il avait appelé pour moi l'Oiseau Tonnerre, l'animal totem le plus puissant (et aussi le plus imprévisible) de la médecine traditionnelle amérindienne. Pour me soigner, m'aider dans mon processus de guérison vis à vis de cette blessure, de cette coupure d'avec le divin. Enfin il me dit que j'avais une part obscure, une part teintée par ce refus de la Vie ou de Dieu, à côté de la part brillante qu'il voyait aussi chez moi, que je possédais l'énergie des contraires, et qu'il fallait que j'accepte cela pour en faire une force et un atout dans ma vie, notamment dans ma volonté d'accompagner les autres.

Je sortais de cette conversation (un peu unilatérale, je dois le dire) assez perdu, mais pas totalement non plus. J'ai déjà rencontré plusieurs fois dans ma vie des personnes qui me disent des choses de moi que je ne sais pas, ou plutôt que je ne sens pas en moi. J'ai appris, au fil de mes expériences, à accueillir ces propos dans une partie de moi, comme étant une part de la vérité peut-être, mais à ne pas les croire sur parole, quelque soit l'autorité dont elle découle et le respect que j'ai pour elle. Mon principal critère de jugement, en la matière, c'est ce que j'arrive à sentir en moi. Et pour le coup, je ne sentais rien, ni dans un sens, ni dans l'autre, puisque mon expérience de transe ne m'était pas accessible. Dans ce cas, mon second critère de jugement est pragmatique : qu'est-ce que cela m'apporte, concrètement, notamment au niveau de mon équilibre et de mes valeurs, de croire telle ou telle proposition ? Et sur ce point, il était bien trop tôt pour juger, mais je sentais que cela ne me plaisait pas totalement, et que cela m'apportait de la confusion. Cela fait maintenant plusieurs années que je chemine avec les médecines d'amazonie et d'ailleurs, j'ai notamment rencontré des dizaines de fois la médecine de la liane amazonienne, et je possède un chemin assez clair maintenant avec cette liane, qui m'a beaucoup éclairé sur ma propre structure, ainsi que sur la nature de mon énergie. Et ce que me disait l'Abuelo ne résonnait pas vraiment avec tout ce que j'avais ressenti avec cette liane, ainsi qu'avec mes précédentes expériences avec le crapaud. Cela pouvait l'éclairer sous un nouvel angle, cela pouvait aussi déstabiliser un peu mon système actuel de croyances, certes, mais en tout cas cela ajoutait de la confusion au lieu d'amener de la lumière de compréhension. Je décidais donc, comme à mon habitude, de suspendre mon jugement et de voir comme tout cela allait évoluer.

Le soir, après une journée de travail où je m'appliquais à ne pas renoncer à mes occupations habituelles (mes rdv en tant que thérapeute notamment), je retournais avec une forme d'attente fébrile dans les bras du Rumé Poto, avec une intention claire : montre moi ce que je n'ai pas encore vu, protège moi des endroits où je ne veux/peux pas aller pour l'instant, mais éclaire ma lanterne, s'il te plaît. L'énergie du Rapé (tel qu'on l'appelle en France) est très Yang, c'est l'énergie du tabac mélangé à certains plantes sacrées d'Amazonie, et il n'est en général pas conseillé d'en prendre avant de se coucher sous peine de ne pas pouvoir dormir de longues heures durant. Je ne risquais pas grand chose, je soupçonnais que, comme la veille, je n'allais pas dormir beaucoup. Et pourtant, une fois passé la première vague d'énergie issue de ma rencontre avec cette énergie de feu (le rapé), je tombais dans un sommeil quasi immédiat, presque comme un évanouissement, sans prévenir. Très bref, comme sommeil, puisque quelques minutes plus tard je me réveillais. J'étais en plein dans mon expérience de la veille au matin. Au milieu de ma transe, plus exactement, quand mon corps s'agitait en tous sens, et que j'étais sensé être parti, ou en tout cas n'avoir pas vécu cela consciemment. Mais là, tout était présent, tout était conscient. L'incroyable énergie qui me traversait de part en part, l'ambiance indescriptible de mon rapport au divin qui jaillissait de partout tout le temps et encore à nouveau, quelque chose que j'ai infiniment de mal à mettre en mots, mais qui pourrait s'apparenter un peu à ceci :

« les noces du Ciel et de la Terre ».

J'ai senti que j'avais déjà contacté à plusieurs reprises, par le passé ces noces exubérantes, j'ai senti que je n'avais pas à en avoir peur, même si elles sont proprement effrayantes tellement il n'y a absolument rien à faire pour lutter contre elles, et qu'elles m'emportaient dans un tourbillon dont l'intensité était hallucinante, au dessus de mes forces usuelles. J'ai senti aussi que cette fois-ci quelque chose d'essentiel avait changé, par rapport aux fois précédentes : le chant de l'Abuelo. Celui-ci m'accompagnait et tapissait le fond de mon expérience, ou plutôt c'était bien plus que çà. Il la colorait, il la dessinait, il l'accompagnait avec beaucoup d'insistance, notamment ce tambour lancinant, et ma réaction incontrôlable, totalement incontrôlable a ce tambour et à ce chant. Je me suis vu et senti danser avec lui, je me sentais totalement là bas, dans l'herbe et dans les ronces, et en même temps j'étais là, dans mon lit, le corps immobile et très calme, si ce n'était mes intestins qui faisaient le grand huit interne tellement les processus qui me traversaient étaient intenses. Ce n'était pas de la nausée, plutôt comme une sorte d'intelligence intestinale de ce qui était en train de se vivre à cet instant. Une sorte de digestion émotionnelle. Et je me sentais extrêmement lucide. Et en même temps totalement habité par la chose. Il n'y avait aucune peur. Juste la compréhension subtile et ineffable de ce qui se jouait.

En fait, l'Abuelo chantait et jouait du tambour pour me protéger, me cadrer peut-être, il en jouait avec tout son cœur, et son chant était d'une puissance incroyable. Derrière lui, c'était toute la culture amérindienne qui jouait et chantait, et derrière elle, c'était la Vie elle-même, a l'état pur et sauvage, qui jouait et chantait pour moi. Et je répondais à la Vie, et je dansais avec elle, de manière totalement incontrôlée, incapable que j'étais de refuser quoi que ce soit. Si je sais un point, c'est que je n'étais pas dans le rejet, le refus, la résistance. Je ne pouvais pas. Je dansais la Vie, et je la chantais. Et j'ai entendu mon chant, celui qui leur faisait peur parce qu'il pouvait ressembler à une plainte, à de la souffrance. Mais il n'y avait rien de tout cela à l'intérieur. Juste une incroyable réponse à l'énergie qui me traversait, un immense OUI à la Vie, un OUI à la fois expression d'un étonnement indicible devant tant d'énergie, tant et tant de beauté, et un OUI sauvage, indomptable, impossible à arrêter ou même à limiter. La Vie se déversait en moi, elle me traversait de part en part, je ne pouvais même plus la vomir comme je l'avais fait par le passé, quand mon corps n'était plus capable de contenir autant de Vie, que ce soit avec le crapaud ou avec la liane. Mon corps semblait comme transcendé, capable d'accueillir toute cette Vie, capable de choses que je ne pouvais même pas imaginer. Et il dansait la Vie, et c'était tout ce qu'il pouvait faire. Et j'ai vu aussi que jamais je ne m'étais mis en danger. Malgré l'étrangeté voire l’invraisemblable de mes mouvements, il n'y avait que de la danse, brutale parfois, sauvage, emportée, mais jamais dangereuse. Je n'étais plus qu'un outil au service de la Vie, je n'avais plus le loisir de me demander si je devais accepter ou refuser, faire telle ou telle chose. Tout cela avait disparu. Il n'y avait plus que la Vie, en fait. Et ce qui est fou, c'est que tant que l'Abuelo jouait, peut-être dans l'espoir de me canaliser ou me m'accompagner, alors moi je répondais par la danse, les cris, etc. Et puis à des moments je retombais, épuisé mais dans un soulagement ineffable, au sol. En extase silencieuse, en apnée basse. Et puis le processus repartait parce qu'il y avait encore de l'énergie, encore de la Vie. 3 ou 4 fois cela a recommencé. Jusqu'au moment très clair ou la porteuse de médecine a commencé son chant-berceuse, que j'avais tant aimé par le passé. A ce moment seulement il y a eu un basculement et je suis retombé au sol, allongé sur le dos, écoutant avec ferveur cette musique angélique. J'avais fini mon processus de transe. Ou plutôt ma conscience avait décidé que c'était le bon moment pour recommencer à inscrire dans ma mémoire immédiate tout ce qui se passait.

Cette nuit là, dans mon lit, j'ai revécu tout cela, en conscience, tout ce qui se jouait sans mémoire et tout ce qui se jouait sur le devant de la scène. Et j'ai su. J'ai su exactement ce que je devais prendre et ce que je devais laisser de ce que m'avaient dit les autres, mes amis, et l'Abuelo. J'ai vu à quel point, étrangement, il y avait la partie de lui qui faisaient des choses en conscience, et en croyance qu'il était de ce qui se jouait pour moi à ce moment là. Et la partie inconsciente de lui, avec laquelle je dansais, qui venait danser avec moi, et qui était avec moi dans une sorte de collaboration incroyable, de concert, de travail, je ne saurai dire. Son âme, si vous voulez. Qu'est-ce que j'ai aimé cette âme, ce chant, même si je voyais aussi que sans elle mon expérience aurait été beaucoup moins longue, extérieurement parlant, parce que je ne faisais que répondre à une sollicitation incroyablement puissante, celle de cette âme. Mais tout est juste, et ce souvenir de danse cosmique restera à jamais gravé en moi. J'ai compris aussi que ce que je sentais, je ne pouvais pas le nier, et que tout le reste était croyance. C'était une évidence absolue, celle que je n'avais pas tant que mon expérience restait inconsciente. Je me suis levé dans mon lit, sans réfléchir, je me suis offert ce que jamais je ne fais en pleine nuit, une nouvelle rencontre avec Rumé Poto, comme pour achever un processus, fermer une porte, honorer ce qui avait été vécu. J'ai senti son énergie puissante m'envahir, me réparer. Il y avait à la fois de la force et de la douceur dans ce dernier rapé, à ce moment là. Et puis je me suis laissé aller, et j'ai fini par m'endormir, il était 4h du matin je crois.

Au petit matin, mon corps était tout engourdi, comme après une profonde nuit de sommeil, et dans une énergie très vive, comme quand je suis en relation avec le Rumé Poto. J'étais calme. La journée pouvait commencer. Je savais ce qu'il s'était passé deux jours auparavant. Je savais qui j'étais. Et je savais ce que je voulais. Je voulais continuer à célébrer les noces du Ciel et de la Terre, de mille et mille manières. Et continuer, aussi, de mille et unes manières, avec les outils qui sont les miens, à accompagner la résurgence de ces noces mystiques chez d'autres humains comme moi.




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